LE DESORDRE

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PRISONNIERES & PRISONNIERS POLITIQUES, LUTTES, GEORGES IBRAHIM ABDALLAH, جورج ابراهيم عبدالله


[JM Rouillan] A propos de Georges Ibrahim Abdallah et des prisonniers politiques en France...

Publié par LE DESORDRE sur 25 Avril 2014, 19:42pm

Catégories : #Georges Abdallah, #GA - Articles-tracts

Voici quelques décennies, un penseur marxiste rappelait que la situation et à la nature des prisonniers politiques permettaient de saisir l'état des rapports de force et de domination dans un pays. Il est vrai que de nos jours, la détention politique révèle les formes de dictature dans nos contrées gangrénées par la réaction. Mais nous sommes peu nombreux à mettre en avant cette question et encore moins nombreux à militer pour la résoudre. Pourtant les prisonniers nous parlent de libération, non pas seulement de la leur propre, mais de notre libération collective et du chemin à parcourir pour la conquérir.

Les militants de la bonne gauche acceptable demeurent engoncés dans leurs armures de certitudes, des certitudes inspirées par la vulgate diffusée par la propagande de l'ennemi. Ils ont les mots du pouvoir à la bouche quand ils affirment que les tribunaux spéciaux sont indispensables à la démocratie, que s'il existe des prisonniers politiques, c'est qu'ils ont commis des crimes condamnables...

Tout ceci serait tout simplement insupportable si ce n'était pas la confirmation du renoncement ambiant, le renoncement à affronter la montée de la réaction et du fascisme, le renoncement à lutter pied à pied avec une bourgeoisie impérialiste qui chevauche la peste brune pour arriver à ses fins, et le renoncement le plus grave celui de ne plus contester l'ordre et l'exploitation.

Pour éviter de regarder le problème en face, l'extrême gauche est dans le déni. L'existence de prisonniers politiques dans ce pays n'est même pas certaine à leurs yeux. Georges Ibrahim Abdallah... "c'est qui ?" Et les prisonniers basques ? "non ce n'est pas possible qu'il y en ait plus d'une centaine(1)". Et les autres ? "Ah parce qu'il y en aurait d'autres !"...Eux qui sont toujours plus prompt à défendre les prisonniers politiques dans des pays lointains. Et qui reçoivent l'appui total des médias quand ils s'agit de prisonniers dans des états en rivalité avec les intérêts de notre bourgeoisie. Défendez Georges Ibrahim ou un opposant russe (même un islamiste tchétchène) et vous constaterez que l'écoute des journalistes n'est pas du tout la même.

Pour Georges Ibrahim rapidement l'autocensure prend le dessus... Un pigiste me racontait qu'un rédacteur lui aurait répondu "Abdallah ou les prisonniers palestiniens, c'est vraiment trop anxiogène..." Bien évidemment aucun ordre signé par le gouvernement n'impose le silence. La censure est dans l'air du temps. Ils sont si bien "éduqués" qu'ils comprennent vite ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Les carriéristes pensent qu'il y a des risques que cela soit mal vu. Et mal interprété. Et là on en revient à notre introduction. Dès qu'on évoque le cas d'un prisonnier politique, on fait de la politique dans un sens contraire au désir du pouvoir... à son diktat d'encadrement général de la politique. C'est à dire les deux pivots de la politique acceptable à l'époque du néolibéralisme : ou "protester dans son coin et entre soi" ou voter rituellement dans la croyance que quelque chose peut changer sans remettre en question l'ordre, sans un renversement radical de l'oppression.

Des militants nous jettent à la gueule les divergences politiques avec le prisonnier comme alibi à ne pas participer aux mobilisations pour le faire sortir. "Trop arabe", "trop nationaliste", "trop communiste"... Mais quand il s'agit de prisonniers ailleurs, on n'entre jamais dans ces "détails". Par exemple, que les activistes Femen soient liées aux forces brunes ukrainiennes, no problem !

Tout cela est d'une grande hypocrisie...

Il faudrait aussi évoquer ceux qui créent de la discorde où il n'y en a pas. Pour eux, il ne faudrait pas séparer prisonniers politiques et prisonniers sociaux. Que tous seraient politiques... et que l'ennemi est la prison. Nous sommes conscients du rôle social de la prison, de sa fonction destinée à terroriser les classes populaires, à leur faire accepter l'inacceptable. Et nous sommes tout aussi conscients de la torture quotidienne qu'elle représente pour des dizaines de milliers d'hommes et de femmes. Et nous parlons bien de torture. Il est clair qu'aucun mouvement progressiste ne pourra se développer sans une critique radicale de la prison. Et par conséquent, nous sommes abolitionniste.

Pourtant la détention politique est insoluble dans la détention sociale même si les deux sont profondément liées dans un avenir de libération. Sa nature est fondamentalement différente, dans le passage à l'acte, dans l'acte lui-même, dans la collectivisation de ses aspirations. La détention politique figure un conflit non réglé et qui se poursuit malgré l'étouffoir sous lequel on croit le nier. Et on saisit de nos jours combien la braise des conflits révolutionnaires affleure nos sociétés de cendres.

Mais qui est donc cet Abdallah ?

Georges Ibrahim Abdallah est un communiste libanais arrêté en octobre 1984... A l'époque la guerre civile libanaise faisait rage et Georges combattait aux côtés des palestiniens dans les rangs du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine). Après 30 années de captivité, il est devenu le plus ancien prisonnier politique de France. Et sa détention a été exemplaire tant par sa détermination révolutionnaire dans les centrales de haute sécurité qu'au niveau des bassesses et de la soumission congénitale de la juridiction d'exception. Son affaire a cumulé les tripatouillages de dossiers, la fabrication de fausses preuves (2), le déni de la parole d'Etat... Le gouvernement de l'époque avec la complicité des médias a manipulé l'opinion pour accréditer la piste de la famille Abdallah dans la responsabilité des attentats qui ont ensanglanté Paris en 1986-87, dans le but de détourner l'attention sur les véritables auteurs et des raisons de leurs actions et profiter pour rendre acceptable la condamnation de Georges à perpétuité (3). Le procès a bien évidemment été un simulacre. Son avocat de l'époque a reconnu un an après qu'il était appointé aux services secret (4)...

Quoiqu'il en soit... Georges a survécu dans les prisons et il est libérable depuis octobre 1999... Fin 2012, le Tribunal antiterroriste de l'Application des Peines décidait de sa libération et de son expulsion vers le Liban. Les politiques de nos jours verts de gris aiment à psalmodier qu'ils respectent les décisions des juges... sauf... sauf... dans le cas d'Abdallah... Dès la décision connue, une délégation de parlementaires américains des deux partis s'est invitée au Ministère de la Justice pour protester. Les organisations relais du sionisme dans le pays ont fait de même. Manuel Valls qui devait signer l'ordre d'expulsion refusa de le parapher (Abdallah est Le seul arabe qu'il n'aimerait pas renvoyer de l'autre côté de la méditerranée !).

Ainsi les politiques ont bloqué la libération judiciaire. Pourquoi ? Pour une vengeance d'Etat ? Pour dissimuler 30 ans de tripatouillages ? Parce qu'il ne se serait pas repenti ?... Non... Parce que le cas de Georges nous parle d'actualité... il nous parle des plans de l'impérialisme et de ses compromissions avec les régimes réactionnaires sioniste et saoudien. Et dans la confusion savamment entretenue, un homme clair et révolutionnaire n'est pas le bienvenue. Selon eux, ils ont déjà perdu trop de temps à affaiblir les principales organisations de la gauche révolutionnaire arabe. Sur le terrain stratégique du moyen orient, on préfère rebaptiser les mercenaires des princes saoudiens et des émirats : rebelles, révolutionnaires, opposants, combattants de la liberté... et éloigner (éliminer) les militants capable de soutenir les vraies luttes populaires radicales et anti- impérialistes.

Non, c'est bien d'actualité que nous parle le cas de Georges Ibrahim Abdallah. Il nous parle de la guerre civile en Syrie et au Liban (où elle est encore larvée). De l'oppression impérialiste au moyen orient. De la collusion d'Israël avec l'Arabie Saoudite comme principale arme des intérêts capitalistes dans la zone.

Soutenir Georges, c'est se positionner dans cette actualité. C'est soutenir la classe ouvrière et le peuple arabe contre la réaction et les intérêts impérialistes.

C'est œuvrer à l'unité politique et pratique de nos combats dans la métropole avec la Palestine et l'ensemble du monde arabe. Comme je le rappelais en introduction, en soutenant un prisonnier politique, on apprend vite quel type de pouvoir se dissimule sous le simulacre démocratique de nos sociétés policées et de quelles armes il use pour éliminer les véritables opposants. Mais on prend conscience également du chemin à parcourir pour se libérer des mensonges et des faux semblant.

On avance vers notre émancipation.

Jean Marc Rouillan

(1) Aujourd'hui 127 prisonniers basques sont détenus dans le pays. Ils sont poursuivis par les tribunaux spéciaux centralisés à Paris. Ils sont dispersés dans 28 établissements aux qua- tre coins du pays. Dans la région, Ibon Elorrieta et Inaki Lopez de Bergara sont emprisonnés à Arles, et Ibai Sueskun à Tarascon.

(2) Yves Bonnet (ancien responsable des services secrets) a reconnu avoir lui-même organisé la fabrication de preuves.

(3) La raison principale était la complicité de la France dans l'agression de l'Iran et le soutien militaire direct aux troupes irakiennes (fournitures de conseillers militaires, d'avions, d'armes et surtout de gaz de combat).

(4) il est vivement conseillé de lire à ce propos le livre collectif "Georges Ibrahim Abdallah" aux éditions Al Dante - documents (prix du livre anti-colonial 2013)

Cet article est paru dans la revue de l'union syndicale Solidaires 30

http://solidaires.org/IMG/pdf/solidaritat_no4.pdf

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